La France Ailleurs
» Nos ancêtres sont les Gaulois » – Vos ancêtres devrais-je dire – enseignaient encore il y a peu les manuels d’Histoire. Eh bien ! j’apprend sans doute à celles et à ceux qui sont originaires de la Vendée dans cette salle, que si gaulois ils sont toujours ils ont un ancêtre indien, nommé Ecoméric de la tribu des Tubinambás, installée dans les environs de Rio. Cet Ecoméric arriva en France avec quelques uns des siens sous la régence de Catherine de Médicis. On retrouve ses traces à Doué La Fontaine et, plus pittoresque encore, nous conaissons son visage puisqu’il est sculpté dans une grotte de la région. Sa descendance nous est attesté jusqu’a la Révolution française.
Cette anecdote vous montre combien sont anciens les liens qui attachent le Brésil à la France. Celui-là étant découvert par les portugais en 1500.
Quoi qu’il en soit, l’ancienneté de ces liens a créé un climat de sympathie tel que certains n’hesitent pas à parler d’histoire d’amour . Ça n’est point faux dans les milieux artistiques et intellectuels au moins.
Donc dès le seizième siècle le Brésil devient en France un thème littéraire et philosophique ainsi qu’un objet de convoitise politique puisque le huguenot Villegaignon s’installe dans la baie de Rio. Hélas! pour les français, les querelles théologiques qui les divisent, protestants contre catholiques, vont avoir raison de leurs tentatives de colonisation au profit des portugais. Il en reste une manière de petit chef-d’oeuvre, c’est le Voyage à la terre du Brésil de Jean de Lery, ex-compagnon de Villegaignon. Dans un style savoureux et avec un oeil d’ethnologue, l’auteur nous raconte son séjour d’une année chez les Indiens. Sa crainte , par exemple, d’être mangé par ceux qui viennent de l’accueillir avec bienveillance. La franche rigolade que ces Indiens en tirent quand ils viennent à apprendre les craintes de leur hôte. Et leur réponse: » Nous, on ne mange pas les amis. »
Les Indiens font encore le thème d’un des plus célèbres essais de Michel de Montaigne, intitlué » Des cannibales » et qui fonde en quelques pages l’humanisme européen – en pleine guerre de réligion. C’était un bel espoir .
Inversement, la France du XVI siècle et du XVIIeme n’est pas oubliée des Brésiliens puisqu’elle fut en 1974 l’un des thèmes du carnaval de Rio. On représentait l’invasion française du Maranhão, mais imaginée par Louis XIII. Les Indiennes étaient coiffées de dentelles en lieu et place de plumes . Des candélabres de miroir figurent les palmiers puisque Louis XIII avait imaginé un salon de glaces dans les forêts vierges du Brésil.
A la fin du règne de Louis XIV, les Français tentent une nouvelle fois de s’établir au Brésil. C’est l’expédition de Duguay Trouin en 1711. Il bombarde Rio et s’en empare. Mais l’affaire n’a pas de suite. Toujours au XVIII ème mais de manière moins guerrière, les Encyclopédistes français inspirent les indépendantistes brésiliens en rébellion contre le Portugal.
Mais, dirais-je, c’est au XIXème siècle que l’heure de la France sonne au Brésil, conséquence inattendue de l’entrée des troupes de Napoléon à Lisbonne, sous la conduite de Junot. A ce sujet, il me revient que la Grande Armée compta parmi ses officiers, un Brésilien, le nommé Moura. Né à la Bahia, il vint en France pour y faire ses études de médecine, mais doit les interrompre faute de moyen. Il s’engage alors comme officier de santé dans les armées de l’Empire.
Après ce pittoresque parcours d’un de mes compatriotes, j’en reviens à Junot et à son entrée à Lisbonne. La cour du Portugal quitta précipitamment Lisbonne et se transporta à Rio sous la protection de la flotte anglaise. Très marquée de culture française, la cour de Portugal, quoique opposée aux idéologies françaises, va paradoxalement être sous les tropiques l’efficace agent de diffusion de votre style de vie. A un point tel que Rio sera comme un reflet de la vie parisienne tout au long du XIXeme siècle et encore aujourd’hui, en dépit de la rude concurrence américaine.
C’est en 1816, à la demande du roi Don João VI, que Louis XVIII envoie au Brésil ce qu’on appelle » la mission française « . La première, puisqu’il y en aura 3 entre 1816 et 1930.
Cette mission était surtout composée d’artistes peintres, dont l’un Jean Baptiste Debret est cher au coeur des Brésiliens en raison des centaines d’aquarelles qu’il laisse et qui retracent la vie quotidienne de l’époque. Cela peut aller d’une famille de fonctionnaires se rendant à la messe aux camelots en passant par le travail des esclaves. Chacune en tout cas est un chef d’oeuvre d’observation et de finesse picturale. Jean Baptiste Debret s’en revint en France 16 ans après et écrivit son fameux livre Voyage pittoresque et historique au Brésil . A la même époque le Brésil reçut pendant 7 ans le célèbre botaniste St. Hilaire – une rue parisienne porte son nom – qui composa un herbier de 3OOOO plantes classés en 7OOO espèces. Il fut le premier savant français autorisé à pénétrer à l’intérieur du Brésil. Il rapporta de ce voyage un livre de grande qualité : Voyage dans les Provinces du Brésil .
La France ayant gagné la première guerre mondiale- je rappelle que le Brésil fut son allié, et, partant, fut signataire du Traité de Versailles. Il participera ainsi à la deuxième guerre mondiale aux côtés des Alliés en Italie – bref, le Brésil s’adresse vers 1920 à la France afin d’en recevoir une » mission militaire » chargée de familiariser les officiers brésiliens avec les techniques d’armements modernes.
Puisque j’effleure les questions militaires, je ne peux manquer de vous dire que la langue française occupait une place si considérable dans la formation des officiers brésiliens que l’un d’entre eux, au nom bien évocateur, Alfredo de Taunay, descendant d’un peintre Nicolas Taunay, ayant appartenu à la première mission fraçaise de 1816 et qui avait fait souche au Brésil, a donné à la littérature mondiale l’un de ses chef-d’oeuvre – et écrit en français- La Retraite de Lagune . Il s’agit d’un épisode de la guerre du Paraguay 1865-1870. C’est une sorte d’Anabase qui racconte l’effroyable retraite sur des centaines de kilomètres d ‘une colonne brésilienne dans l’Ouest du pays, alors à peu près inconnu. Je ne résiste pas au plaisir de vous en lire deux paragraphes (p. 141-142 ).
L’action de la France au Brésil fut encore déterminante au XXème siècle. Puisque c’est la troisième mission française, uniquement composée de jeunes professeurs, qui devait fonder en 1930 l’Université de São Paulo. Parmi ces jeunes professeurs certains devinrent célèbres . Je pense à Claude Lévi-Strauss auteur de Tristes tropiques et à l’immense historien : Ferdinand Braudel.
Malgré la tragédie de 39-45, la France et le Brésil ne s’oublièrent pas. Les échanges culturels reprirent dès 1946. Ils sont aujourd’hui réciproques. Comment ne pas vous dire que notre Président actuel, Monsieur Henrique Cardoso enseigna à la Sorbonne et à Nanterre dans les annés 6O. L’Université française compte encore d’autres compatriotes et l’Université de São Paulo a reçu dans les trente dernières années tout ce qui compte dans la culture française. Je pense à Foucault, Vernant et Michel Serres, aujourd’hui à l’Académie Française.
J’ai plaisir aussi à vous dire que le Brésil et la France ne limitent pas leurs échanges aux seuls disciplines intellectuelles mais que les échanges économiques progressent depuis que le Brésil est devenu une nation industrielle en pleine expansion.
Cette présentation n’avait que l’ambition de vous montrer l’arrière plan du mutuel intérêt que nous nous portons et qu’illustrent de nombreux passages de mon roman Le Perroquet et le docteur, traduit par Alain Mangin et édité par l’Aube. Les passages qu’on va vous lire disent assez ce qu’est la France dans la tête d’une héroine brésilienne à Paris.