Diaspora et littérature, texte

Diaspora et littérature

bettymilan
Conférence donnée au Lebanese Diaspora Energy – juin 2019.

 

 

Je remercie le consul du Liban à São Paulo, Monsieur Rudi El Azzi, et ceux qui me reçoivent à Beiruth si gentiment.

Avant toute chose, je voudrais vous dire que je suis très émue d’être ici parce que je suis née au Brésil, mais mes  grands parents sont Libanais. Sans l’immigration, peut-être n’aurais-je pas connu l’existence.

D’autre part je suis émue parce que j’ai l’espoir que ces conférences internationales de la diaspora aideront le Liban à devenir ce qu’il a été : un lieu de côtoiment permanent et intime entre des populations de différents cultes, un lieu de profonde convivialité.

À  cause de mon histoire, l’immigration est le sujet de deux de mes romans, où il s’agit de la diaspora libanaise au Brésil.

 

 

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En général, quand on parle d’immigration, on pense aux faits qui la déterminent et aux difficultés objectives d’immigrer. Ce qui m’intéresse, et qu’on retrouve dans mes textes, ce sont les conséquences de l’immigration sur les individus. Pour écrire, j’ai écouté les voix de la vie, de la joie et de la souffrance de ceux qui ont du laisser leur pays natal.

Dans mes romans sur la diaspora, il s’agit donc de l’histoire affective des immigrants et de leurs descendants, une histoire qui, pour différentes raisons, tend à rester cachée. Parmi ces raisons, il y a l’intolérance à laquelle les immigrants et leurs descendants sont continuellement exposés.  Qu’il me soit permis de rappeler que le mot xénophobie vient du grec, xenos, qui signifie l’étranger, et de phobos, qui signifie la crainte. Il désigne la peur de l’étranger, l’aversion à son égard.

Je l’ai vécue dans ma peau pour être descendante d’immigrants libanais qui sont partis pour le Brésil à la fin du XIXe siècle afin de ne pas servir dans l’armée turque, ou autrement dit,  pour échapper à une guerre qui n’était pas la leur.

 

 

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Il y a vingt-cinq ans, j’ai écrit  un roman inspiré de mon analyse avec Lacan ainsi que de la traversée de mes ancêtres. Un des thèmes de l’œuvre est la xénophobie ; celle des Brésiliens envers les Libanais, celle des Libanais envers les Brésiliens et celle de l’héroïne vis-à-vis d’elle-même.

Ce roman est une métaphore de l’immigration. Elle s’est faite au Brésil, mais elle aurait pu se passer n’importe où. L’écriture du livre n’a été possible que parce que j’avais fait une analyse. Grâce à elle, j’ai pu m’observer moi-même et révéler, à travers le texte, les différentes formes de xénophobie à l’origine d’une crise d’identité capable de faire imploser le monde. Comme nous le savons tous.

D’emblée, dans le roman, la xénophobie est liée  au natif. Les premiers Libanais qui arrivèrent au Brésil avaient quitté leur pays pour échapper aux Turcs et, paradoxalement, sous les Tropiques, on les traitait de Turcs ou de mangeurs d’hommes.

Toutefois, il faut préciser que si le natif du pays de l’immigration est xénophobe vis-à-vis de l’immigrant, celui-ci  peut l’être aussi vis-à-vis du natif.

La xénophobie de l’immigrant dans sa relation avec le natif a de sérieuses conséquences pour sa descendance, qui reste partagée entre ses ancêtres et ses contemporains, une situation impossible à tenir.

En dehors des deux formes de xénophobie que j’ai mentionnées, il en existe une troisième, la xénophobie du descendant d’immigrant vis-à-vis de lui-même. L’auto-xenophobie ou la haine de soi,  comme le dit Amin Maalouf, que j’ai interviewé il y a quinze jours, pousse à oublier les origines.   le descendant d’immigrant tend à dissimuler son histoire.  Il ne veut pas être le fils ou le petit-fils de celui qui a dû s’arracher au pays natal et s’est senti humilié dans son pays d’arrivée. L’immigration est une blessure narcissique qui peut se transmetre d’une génération à l’autre, et l’histoire du descendant dépend de la relation de chaque immigrant avec son passé.

La guerre est inévitable, l’immigration aussi. Mais l’oubli peut être évité, le mémoricide, un crime aussi grave que l’homicide. Le mémoricide est le thème de mon nouveau roman sur l’immigration, dont le titre est Baal.

Evocateur de racines culturelles et historiques, Baal synthétise les forces qui recouvrent la politique et la religion et peuvent se manifester dans l’amour et la haine. Ces deux sentiments, faces d’une même monnaie, sont l’emblème de la vie du héros de mon roman. Omar, l’immigrant devenu un grand patriarche.

Baal est une histoire de famille, elle invite le lecteur à se pencher sur son passé pour mieux comprendre le présent. Baal évoque le drame actuel de l’immigration, relatant la vie sur la terre natale et la renaissance dans un nouveau pays, avec une autre langue et une autre culture.C’est un roman sur l’intelligence de l’immigrant, et particulièrement des immigrants libanais, qui ont parcouru le Brésil du Nord au Sud et introduit le commerce grâce à leur tradition. Le héros, patron et inspirateur d’Omar, c’est Sindbad le marin. Omar dit à son propos : « Sindbad pouvait s’en sortir, parce qu’il était observateur, toujours capable d’improviser, de trouver une issue ».

Les paroles d’Omar évoquent celles de Martin Luther King : « Make a way out of no way » – « faites votre chemin au milieu de nulle part (là où personne ne l’a fait) ». C’est bien ce que fait l’immigrant. Par-dessus tout, du jour au lendemain, ce qui lui reste c’est sa vie, il prend en mains son propre salut . C’est ce que nous avons à faire face aux tragédies d’aujourd’hui.

Nous avons à prendre notre salut en mains comme l’a fait Omar, que l’histoire de mon grand père a inspiré. Vous comprendrez mon émotion quand avant-hier, avec quelques cousins, je suis revenu dans le village du Mont Liban d’où mon grand père est parti à jamais il y a 120 ans.

Merci. Xucran.