extrait
Trois lettres, A-L-I, les mêmes que celles de mon nom. Ali saura me regarder, m’écouter et dire : « À toute chose, je préfère t’aimer ». Avec lui, j’oublierai jusqu’à l’heure, jusqu’à la différence du jour avec la nuit. Avec lui, j’irai de séjour en séjour, voir déferler les couleurs dans l’écume blanche de la mer. Etre l’itinérante et atteindre l’Orient à son extrême. Ecouter le luth, boire le thé à la menthe, fumer l’opium dans une maison chinoise et accéder au paradis. Ali, pour traverser les continents, quitter le quai, oser la mer au large, puis revenir au port.
résumé
Lia est un personnage avec qui j’ai vécu pendant deux ans : je la voyais toujours de dos, et l’écoutais dire lyriquement ses fantaisies érotiques. Deux ans passés à me demander qui pouvait bien être la femme qui se nommait Lia, et à essayer de lui inventer une histoire, de lui donner une existence romanesque.
En vain, Lia était rétive à toute forme d’intrigue. Jusqu’à ce qu’une nuit, elle m’apparaisse en rêve : entièrement voilée, elle venait vers moi, puis s’éloignait sans proférer un mot. A mon réveil, j’écoutai son silence et désirai qu’elle parle. J’en eus la certitude, pour que Lia existe il lui fallait seulement s’exprimer.
Je renonçai alors à tout projet d’intrigue. Son univers étant celui de l’art, peu m’importait pour quelle raison elle se livrait ainsi au seul pouvoir de son imagination. Je me mis donc à recueillir ses paroles, comme s’il s’agissait de sortes de vœux, afin d’offrir au spectateur le voyage auquel elles invitaient.
Son histoire est celle d’une femme qui, pour compenser l’absence de l’être aimé, se plaît à déployer sa fantaisie en passant d’une scène imaginaire à l’autre : la première, où elle s’imagine avec son amant, la seconde où, faute de le rencontrer, elle choisit le décor du bordel pour se prêter au jeu des simulacres, et ainsi de suite.
A l’écart du monde, Lia se livre à sa parole, à la manière d’une religieuse devant Dieu, ou peut-être de ces femmes qui se laissent glisser le soir dans leurs rêveries et bien que sans espérance évitent ainsi la tristesse.
Aurai-je été l’auteur de ce texte ? Seulement dans la mesure, où ayant renoncé à mon projet initial, j’ai simplement laissé exister Lia comme un être qui, pour se construire, a besoin d’exprimer poétiquement son désir. Lui ayant reconnu un droit qui au début me contrariait, j’ai moi-même occupé la position de scribe, la seule possible, pour lui donner vie et offrir au specateur ce voyage imaginaire.
Peut-être n’a-t-elle refusé de me montrer son visage que pour mieux capter mon attention. Le fait est que je n’ai pu cesser de l’écouter. Mon étonnement fut double : Lia ne parlait pas comme tout le monde, mais d’une voix poétique, et détonnait par le contenu de ses paroles. Pour elle, même dans un bordel, l’obligation de jouir est dispensable, seul le plaisir doit y être requis, attendu, célébré, à l’opposé du bordel libertin qui prône la soumission et où règne avant tout la passion de l’ordre.
L’expérience de la sexualité est un voyage toujours à réinventer au fur et à mesure qu’il se déroule, dont on peut retarder ou même suspendre le dénouement à sa guise, libéré de tous les impératifs de jouissance.
historique
La passion de Lia est adapté du roman éponyme. La pièce a été lue en 2002 à l’auditorium de A Folha de São Paulo par Giulia Gam et José Celso Martinez Corrêa, qui dirigeait lui-même la lecture.
points de vue
“Lia vole, vole… elle touche profondément”.
A Folha de S. Paulo, février 2002